Mon enfance en Tunisie (2)

Mardi 05 Juin 2018-00:00:00
' Chaimaa Said

L’année suivante, j’ai eu la mauvaise nouvelle que Lamiaa déménagerait; mais en plus, elle irait dans une autre école que celle que je fréquenterais. Mon père essayait de me convaincre que l’école où j’irais est meilleure car elle dépend de la mission française laïque, tandis que Lamiaa irait dans une école publique -qui est pourtant excellente par rapport à nos écoles publiques, mais c’était en vain. Lamiaa est venue pour nous dire au revoir; elle a apporté des amandes enrobées de sucre, et un tableau en canevas avec un cadre vert, un arrière-fond blanc, et où il est représenté une créature bizarre avec des cheveux ébouriffés. Cette gentille petite fille paraissait plutôt excitée, sa joie ne tardait pas à me gagner par contamination. Mais quand j’ai commencé à aller la maternelle et retourner toute seule, c’était pénible, et le gros chagrin regagnait mon cœur.

A la maternelle, je comprenais parfois la maîtresse, et d’autre fois je ne la comprenais pas, car elle ne parlait que le français. Cela me gênait beaucoup au début; alors, je fuyais pour jouer au coin jeux. Un incident qui s’est passé aura une influence sur ma personnalité: Durant une pause, deux garçons se battaient comme d’habitude; ce n’était pas parce qu’ils se disputaient, se battre était un loisir pour eux. Un des deux garçons, sans faire exprès, m’a heurté le nez avec son coude; alors, mon nez a saigné. Quand la maîtresse, qui était dehors, est revenue, elle était terrifiée de voir mon nez saigner. Quand elle m’a demandé qui m’avait fait cela, j’ai pointé du doigt seulement celui qui m’a heurté; car mon français ne m’a pas aidé à raconter tout ce qui s’est passé. Le petit garçon était puni, le dos au mur. En passant auprès de lui, il m’a blâmé, en me disant qu’il n’avait pas fait exprès; j’ai continué à marcher, en gardant la tête baissée, car un sentiment de culpabilité rongeait mon cœur.

Après cette année-là, qui n’était pas facile pour moi, je suis passée au CP. Je comprenais à peu près tout ce que disait «le Monsieur»; mais je faisais seulement des phrases courtes en français. Mon premier jour à l’école Marie Curie est inoubliable. La première phrase que j’ai prononcée était en arabe égyptien; c’était quand j’ai taillé mon crayon, et j’ai dit tout simplement: «Où est la poubelle?» Un des enfants a éclaté de rire, car chez eux ils utilisaient un autre mot pour dire «poubelle». Dès ce moment, j’ai décidé de ne plus parler en arabe. D’ailleurs, on parlait, normalement, et tout le temps en français, mais du genre: «donne-moi le livre», «prête-moi ta gomme». Cela aurait un impact important sur toute ma vie. Je serais toujours calme et tacite, et parfois je ne serais pas parfois capable de m’exprimer oralement tant en arabe qu’en français. De plus, j’aurais un léger accent en arabe; et quand quelqu’un l’aurais remarqué, je serais obligée de lui raconter toute cette histoire.

A suivre…